Japan Chronicles : Asafumi Yamashita, Roi du Légume

L’histoire de Mr Yamashita est passionnante, celle d’un japonais qui quitte son pays, embrasse une nouvelle culture et transmet la sienne. Partant de presque rien, il collabore aujourd’hui avec les plus grands chefs cuisiniers Parisiens.

Asafumi Yamashita est né en 1953 à Tokyo, il part à 22 ans à Paris où il entre dans une école des Beaux Arts. Il est fan de musique, de peinture et d’Ikebana (art floral japonais). Il devient champion de boxe universitaire vers la fin des années 70.

Mr Yamashita s’installe à Chapet dans les Yvelines en 1989, avec sa femme et ses filles. Avec un domaine de 3800 m² qu’il n’utilise que partiellement pour commencer, il se consacre à la culture de bonsaïs. Le pépiniériste autodidacte loue ces derniers essentiellement à des restaurateurs japonais, lui permettant de vivre sereinement. Un soir, on lui vole la quasi totalité de sa collection. A 40 ans, Asafumi est au pied du mur, il n’a presque plus rien et ne voit pas comment s’en sortir… C’est alors qu’un chef japonais Parisien lui suggère l’idée de cultiver des légumes japonais car ils sont rares, voire introuvables en France. N’ayant aucune connaissance dans ce domaine il se documente, se met ainsi à lire beaucoup de livres de jardinage. Il réalise quelques tests, essuie ses premiers échecs. En effet, son sol est argileux, caillouteux, exposé plein Nord. Un sol fait d’argile sèche trop vite quand il fait chaud et est gorgé d’eau lorsqu’il pleut. Mais l’argile est riche en nutriments… Mr Yamashita est japonais, fidèle à ses principes, il souhaite rester en harmonie avec sa terre et ne pas y faire de changements. Il veut s’adapter, tout comme son peuple a su s’adapter à une terre pas toujours accueillante 😉

Notre jardinier novice persiste et ses premiers légumes voient le jour : le chou Komatsuma (« l’épinard moutarde »), les pois sugar snaps (pois mange-tout), les edanames (fèves de soja), les wasabias japonicas (plante qui donne le wasabi), le radis Daïkon, les carottes de Kyoto, et son légume star le navet Kabu. La ferme de Yamashita est née.

 

Le navet Kabu / Le radis Daikon

Son produit phare étant le navet, il en possède aujourd’hui 8 variétés différentes.

Il entreprend une voie typique d’un japonais passionné : se donne à fond, étudie et observe constamment son jardin. Il cultive et entretient seul. Mr Yamashita travaille 7 jours sur 7, ne prend pas de vacances.

« Je ne parle pas aux légumes, je préfère les écouter »

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« Je plante mon assiette : les tomates avec l’ail et le basilic »

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« Au lieu de planter mes pieds de tomate tous les 30 cm, je les plante tous les mètres et je suis précis. Les japonais sont plus précis que les français »

Les chefs japonais sont ravis, à tel point qu’ils incitent Mr Yamashita à faire découvrir ses légumes aux chefs français. Un jour, il est invité au restaurant 3 étoiles de Christian Le Squer, il y apporte ses navets Kabu en guise de cadeau afin de le remercier pour son invitation. C’est sûrement cette dégustation qui va emmener le jardinier au sommet car le chef est impressionné par l’incroyable goût du légume. Il est aussi très intéressé par la rareté des produits d’Asafumi.

La marchandise du japonais devient alors très convoitée. Celui-ci décide de se concentrer sur un réseau restreint de chefs, passionnés comme lui et qui savent mettre ses légumes en valeur. Aujourd’hui encore, il n’en compte que 6 ! Il a travaillé avec de nombreux chefs tel que Anne-Sophie Pic et Eric Briffard. S’ils raffolent de ces nouveaux légumes savoureux et goûteux, ils demandent aussi à Mr Yamashita de cultiver des légumes français de saison (tomates, aubergines, maïs, concombres, choux fleur, etc). Mr Y s’essaie à l’exercice avec brio puisqu’il possède désormais 50 variétés de légumes différents.

Si l’on doit retenir deux collaborations, je dirais qu’il s’agit de Pierre Gagnaire et de Sylvain Sendra. Le premier parce qu’il a en commun avec lui une philosophie de vie. Pierre Gagnaire reconnaît une pureté dans la démarche du jardiner japonais. Comme lui il a dû recommencer à zéro (pour faillite) et a dû aborder ses talents d’une autre manière. Sûrement avec pureté aussi. Le second parce qu’il a le goût absolu. A l’instar de l’oreille absolue qui perçoit des sons inaudibles pour certains, le chef peut ressentir les saveurs comme personne. Sa précision dans les assaisonnements est d’or. Les deux chefs sont très respectés de Mr Yamashita.

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Ci-dessus : Pierre Ggagnaire à gauche de Mr Yamashita.
Ci dessous : avec Sylvain Sendra

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C’est ainsi que notre maraîcher a inventé une nouvelle façon de travailler avec les cuisiniers. D’habitude, un cuisinier imagine une recette et réalise une commande. Mais ici, c’est Mr Yamashita qui décide avec qui il travaille, le prix, le volume et le moment où il livre les légumes sacrés. Cela pourrait paraître prétentieux, mais Mr Y ne confie ses légumes qu’aux chefs en qui il a totalement confiance. Vers ceux qui ne dénaturent pas le légume, mais plutôt ceux qui le mettent en valeur. D’ailleurs, les chefs ne le vivent pas comme une contrainte, mais plutôt comme un cadeau pour lequel ils s’adaptent et qui stimule leur créativité. Les chefs cuisinent la totalité du légume. De la tête au pied, de son cœur à la tige. Les professionnels admettent d’ailleurs volontiers que le jardinier a fait progresser la cuisine française, en apportant des goûts nouveaux et uniques.

Le prix, les chefs ne s’en soucient guère, pourtant ils sont exorbitant ! A titre d’exemple, son melon Cantaloup est vendu 150 euros pièce. Son épinard se vend à 20 euros le kilo, soit 5 fois plus cher que sur le marché.

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Mr Yamashita n’est pas tourné vers une agriculture bio mais en douceur. Il laisse le temps à ses légumes sans accélérer leur croissance.

« Je vois mes légumes comme mes enfants, je les aide à grandir, je les nourris et les protège des maladies. Puis quand ils sont au maximum de leur potentiel, ils quittent la maison. Certains sont plus précoces, d’autres plus lents. Tout comme chaque enfant est différent. »

Étant donné que son terrain comporte tout de même 12 serres, Naomi l’aide pour quelques récoltes. Elle est surtout une très bonne cuisinière. Le couple a ainsi ouvert les portes de la ferme Yamashita dans les années 2000, de Mai à Octobre. Naomi, aidée de ses filles, cuisine pour des convives et Asafumi enrobe les plats avec sa passion. Avec seulement 8 places, vous aurez peut-être la chance d’obtenir un couvert pour 2025 !

En effet, la file d’attente est longue car la petite famille réalise quelques plats d’influence japonaise qui subliment les légumes du jardinier. Des cuissons vapeur, à la friture, en passant par du cru. Des taillages en biseau au baguettes méticuleusement positionnées : tout y est ! Des gens viennent du monde entier pour visiter la ferme et goûter des plats aux saveurs uniques.

Le couple Yamashita et les plats servis à la ferme.

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Par ailleurs, le maraîcher nippon a participé à de nombreux reportages, des conférences, dans l’idée de transmettre et de partager ses connaissances. Deux livres ont aussi été réalisés afin de mettre à l’écrit et en image son talent.

« Asafumi Yamashita , maraîcher trois étoiles » paru en 2012
«  Nô Dô, l’homme qui écoute les légumes » paru en 2016

En 2016, il participe à l’émission culinaire « Top Chef » en tant que juge sur une épreuve autour de ses légumes, en direct de son jardin et en compagnie de Pierre Gagnaire. En juin 2019, avec l’aide de chefs cuisiniers dont Sylvain Sendra, Mr Y crée « le concours de la ferme Yamashita » à l’ambassade japonaise. A la clé, deux récompenses : 8000 euros et un contrat avec la ferme. Son idée est de faire grandir la cuisine d’un japonais en France, afin qu’il soit respecté, écouté et qu’il puisse ainsi transmettre la culture culinaire nippone aux Français.

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Yoshitaka Takayanagi le lauréat du concours. Il est chef une étoile au restaurant « La scène Thélène ». Le cuisinier prospectait le maraîcher depuis 10 ans sans succès.

A 67 ans, Mr Yamashita a été plus loin que cultiver des légumes. C’est la philosophie de l’homme sage entourant son travail qui est intéressante. L’essence de cet échange cuisinier/maraîcher c’est le mélange et le partage des cultures. La rencontre entre la France et le Japon. Sans forcer la cohésion, juste par amour des légumes. Avec une vision plus globale, la France tombe amoureuse du Japon, le Japon remercie le pays accueillant ; pour au final donner une culture « hybridée ».

Personnellement, j’admire cette façon de s’intégrer sans forcer, mais plutôt en montrant ce qu’il y a de beau dans sa propre culture. Car au-delà du jardin de Yamashita, c’est son application à donner le meilleur qui force l’admiration.

Ferme Yamashita
2 Chemin des Poiriers
78130 CHAPET
01 30 91 98 75
oishii831@yahoo.co.jp

Hôkkïn

yamashita_dessin

Dessin de Hôkkin

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